Le Valaisan Serge de Quay a couru en 1958 un 10'000 mètres en 31 minutes et 13 secondes sur une piste dite cendrée (faite d’un mélange de terre et de cendres broyées) que les moins de 50 ans n’ont jamais connue. A cette époque, les coureurs à pied étaient rares, et ils passaient pour des individus extravagants. Les performances de cet homme m’interpelaient. Je ne l’avais jamais rencontré. En avril 2017, par hasard, j’appris qu’il jouait au bridge à Sion et je réussis ainsi à obtenir ses coordonnées.
Un coup de fil plus tard et nous nous rencontrâmes dans un café de la capitale valaisanne. Il ne fallut que quelques minutes pour que cet ancien champion se dévoilât complètement, prenant plus de plaisir à raconter sa vie que ses exploits sportifs.
Comme la particule de son nom le prouve, Serge est le descendant d’une famille noble de Sion. Il est né le 14 août 1931 et fait partie d’une fratrie de sept enfants. Hélas, son père René, avocat-notaire, décéda alors qu’il n’avait que neuf ans. Sa mère, Marie Ribordy de Courten, fut directrice des Ecoles de Sion
pendant 25 ans. A 10 ans, il fut placé dans un internat à Morges puis à Porrentruy. Il étudia ensuite au collège de St-Maurice où il obtint une maturité classique latin et grec. En parallèle à ses obligations militaires qui l’amèneront au grade de premier lieutenant, il étudia le droit à l’université de Lausanne,
mais arrêta ses études alors qu’il n’était pas loin de les terminer.
Il obtint ensuite un diplôme d’hôtelier, et passa sa vie à diriger divers instituts et hôtels en Valais, et à s’occuper de maisons de vacances pour l’Etat de Genève. Serge a débuté la course à pied en participant à une compétition du côté d’Hérémence, le 1er août 1947, à 16 ans. C’était un contre-la-montre, et il a remporté la course, toutes catégories confondues. La même année, il devint champion valaisan du 5000 sur piste, en élites.
A cette époque, il n’était pas évident de faire du sport pour un étudiant vivant en internat. Ses professeurs ne manquaient pas de lui faire remarquer à toutes occasions que les études n’étaient pas compatibles avec le sport. Comme il apparaissait régulièrement dans les résultats des journaux, il lui était difficile de passer inaperçu. Mais rien ni personne ne put l’empêcher de continuer à pratiquer son sport favori.
Serge affirme qu’il n’a jamais effectué d’entraînements réguliers pendant de longues périodes, car il ne pouvait pas pratiquer suffisamment son sport durant son temps passé à l’armée, et que personne n’a su le conseiller et le motiver. Ses entraînements consistaient à courir une douzaines de kilomètres au plat ou de gravir le plus vite possible des sentiers conduisant à des cabanes. Il lui arrivait aussi de réaliser des séries de 400 m sur piste.
En plus de la course à pied, l’athlète sédunois a pratiqué d’autres sports avec un réel succès : bob, alpinisme, équitation, tennis, cyclisme. Cependant, c’est bien dans le domaine de son sport favori qu’il s’est le plus illustré, comme le témoignent quelques-unes de ses meilleures performances : 8′ 38′′ 2 sur 3000 m, 15′ 09′′ 6 sur 5000 m, 31′ 13′′ 6 sur 10'000 m (record valaisan qui tint pendant 20 ans), 5ème place à Morat-Fribourg en 1956, vainqueur du cross Satus en 1954 (un cross de haut niveau avec la participation exceptionnelle d’athlètes de pays dits de l’Est).
Serge de Quay a également brillé dans des courses militaires avec fusil sur le dos. Ces compétitions connaissaient un immense succès autrefois avec souvent plus d’un millier de participants. Il fut champion de la discipline à huit reprises.
Le sport lui a permis de faire de sympathiques rencontres et de côtoyer de grands champions. Ainsi, lors de ses trop rares compétitions à l’étranger, il put se mesurer à trois champions olympiques : Vladimir Kutz et Zdzisław Krzyszkowiak au cross de l’Humanité à Paris, et Alain Mimoum dans un cross près de Bruxelles.
Serge de Quay a eu le plaisir de côtoyer le conseilleur fédéral Roger Bonvin qui le considérait comme un exemple pour la jeunesse. Père de quatre enfants, il est huit fois grand-père et une fois arrière grandpère. Il passe aujourd’hui une belle retraite à St-Maurice. « Je joue au bridge pour fortifier ma
mémoire, et je fais encore de petites balades. Je ne pourrai plus gravir le Kilimandjaro comme autrefois, mais peu importe, pourvu que je puisse continuer à vivre en bonne santé, au côté de Mady, ma chère compagne. »
Juin 2017, Augustin Genoud